La mort peut attendre

Temps de lecture : 4 minutes
  • Macchabia ça suffit ! Tu es la honte des Thanatos. Aucun cadavre depuis six mois ! Les Tréppasof n’osent plus nous inviter pour ne pas être mis aux bancs des exclus du clan des Muerte. Qu’as-tu retenu de tes années à l’école «Mortuus» ? Eructe mon père.
  • Tu vas cesser tes soirées chez les Angus. Ils te vérolent l’hémoglobine. Ton essence morbide se ramollit. Renchéris ma mère.
  • Nous avons décidé, que tu avais une semaine pour te ressaisir. De nouveaux cimetières sont en prévision. Surprends –nous ! Sinon tu seras bannie !

Je baisse la tête et bous intérieurement des feux de l’Enfer. J’en ai assez de cette routine, chaque jour un quota d’âmes, toujours plus grand à récolter. Ils veulent de la surprise, ils ne vont pas être déçus. Voyons qui vais-je prendre pour cible?

Elle repéra, Yvon. Un routier fier de son travail, un assoiffé d’asphalte. Quand les bornes arrêtaient de défiler à travers son pare-brise, il y avait l’esprit de la route, les potes. Des hommes sur qui il pouvait compter. Pourtant il rêvait de profondeurs marines, d’épaves et de trésors anciens enfouis à découvrir. Il avait passé tous ses diplômes de plongée pour cela. Rien n’était perdu, car son horoscope lui annonçait ce matin « Lion, des changements pourraient vous réjouir. Soyez attentif aux signes »

Soudain le ciel s’assombrit et des trombes d’eau s’abattirent sur son dix tonnes. L’homme sans ciller accrocha ses pognes au volant, comme des bernicles sur un rocher et ouvrit l’œil. Il aperçut à la faveur d’un éclair, une sombre silhouette svelte. Il ralentit. La pluie redoubla. Son empathie au niveau critique, il freina. Grâce au marchepied, la mouillette dégoulinante prit place à côté de lui dans la cabine. Yvon découvrit une jeune femme aux yeux mordorés avec un tatouage bizarre sur le cou.

  • Sale temps même pour les grenouilles, hein? Vous allez où? Moi c’est Yvon.
  • Je vous le dirai quand nous y serons. Macchabia.
  • Pas courant comme prénom.
  • Non c’est mortel.

Impressionné le chauffeur resta coi. Ils roulèrent en silence. Puis au bout d’une heure, la passagère extirpa comme par magie de son manteau une bière Demon, qu’elle siffla d’un trait. Avec l’étiquette, elle façonna un bateau qu’elle déposa sur le tableau de bord et dit :

  • Arrêtez- moi à la prochaine sortie d’autoroute.
  • Mais il n’y a rien, et il pleut averse.

Pas de réponse de son interlocutrice qui descendit. Chose étrange la place passager était sèche et dans le rétroviseur plus aucune trace de Macchabia. Ce fut à ce moment qu’une roue du dix tonnes tomba lourdement dans une ornière qui fit passer de vie à trépas l’un des gros pneus.

  • Salut Gus! Putain de météo, j’ai crevé. T’es où, j’ai besoin d’un coup d’main? Ouais la nuit bientôt. Punaise, je m’fais vieux pour c’taf. Faut bien faire bouillir la marmite et choyer madame. C’est clair elle me reproche de ne jamais être là. Je t’attends suis à la sortie de « Corps Célestes », sur la D666.

Pour remercier Gus, Yvon l’invita pour déjeuner au Démon D’Midi. Sur le miroir derrière le zinc du café routier, une annonce attira l’attention de notre bougre. – Envie d’aventure, nous recherchons plongeur confirmé pour chasser des épaves. Uniquement du lundi au mercredi.

Il pensa à la prédiction de son horoscope et percuta sur l’origami de bateau et l’nom du café. Il téléphona et miracle fut embauché direct. Convaincu que la chance lui souriait, il s’empressa d’appeler sa femme.

A chaque retour de mer, un artiste peintre était à l’œuvre sur le port. Il intriguait Yvon par la tristesse qu’il dégageait et ce tatouage dans le cou, comme celui de la fille de l’autoroute.

  • Bonjour l’ami, une mousse au bar de Denise ça vous tente? S’enquit Yvon.
  • Non merci.
  • Vous me peinez ainsi toujours seul et isolé. Répondit le tout nouveau chasseur d’épaves.
  • Je suis triste pour vous, l’ami.
  • Pourquoi? Ch’ui bien entouré, une femme admirable, des copains.

Le vieil homme, lui tendit une aquarelle qui représentait une longère. Un écriteau indiquait « Manoir Cupidon ».

  • C’est pour vous, l’ami qui n’a besoin de rien. Ironisa le peintre.

Intrigué  tant par le tableau que ce tatouage, une sorte de rune, Yvon se demanda s’il n’y avait pas là un message. La réponse lui arriva par Olivier, un de ses nouveaux collègues.

  • Oh ! Le Manoir Cupidon. Endroit discret pour relations sulfureuses instantanées. Ricana-t-il.

Puisqu’ils étaient rentrés tôt pour cause d’avis de tempête, Yvon se rappelant «soyez attentif aux signes» se prit à chercher sur son smartphone l’adresse de ce lieu de toutes les tentations. Sans réfléchir il entra l’adresse dans son GPS et s’y rendit. Quelle ne fut sa surprise de trouver garée à proximité la voiture de sa femme. Il enchaîna les cigarettes qui dans leur lente combustion devenaient le sablier de sa douleur. Tout à coup elle apparut, ou plutôt ils apparurent. Elle tenait la main de Daniel, son pote de l’armée. La fougue de leur baiser et le temps qu’ils mirent à rejoindre leur voiture témoignèrent de la nature de leur relation.

Les mois qui suivirent furent éprouvant pour le plongeur, qui sauta sur l’occasion lorsque le patron de la petite entreprise de renflouage « Divex Marine », annonça qu’il aimerait bien passer la main. Il s’investit  avec ardeur dans ce nouveau projet, et doubla son chiffre d’affaire en un an. Il employa même une secrétaire, recommandée par la conseillère de l’emploi. Cette dernière avait aussi le tatouage au cou. Yvon commençait à croire au destin. De plus, le charme des rondeurs de Bénédicte ne semblait pas le laisser de marbre.

  • Alors Macchabia, que disent tes parents de ta reconversion? Demanda Charon, nocher du Styx.
  • Mon père écume de rage et bave des pluies acides. Ma mère manigance avec les divinités de la mort, afin de concocter un virus virulent pour une pandémie.
  • La cadence du convoi des morts sera infernale, je vais devoir recruter. S’exclama Charon.
  • Bref, guider les humains à trouver un meilleur chemin de vie et plus excitant que de leur prendre la vie. Etre métamorphe est un atout pour ce nouveau job. La mort peut attendre.
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2 Comments

  • Toujours aussi talentueuse…dans les émotions !!!!

    • Merci Robert de ta fidélité à me lire

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