Le détail qui tue.

Temps de lecture : 6 minutes

Cinq heures que l’interrogatoire a commencé. L’équipe de Katia, cheffe d’une unité spéciale chargée de démêler le vrai du faux dans des affaires où l’immunité internationale est mise en avant ou des affaires politiquement sensibles, a demandé l’aide de son ami Paul, capitaine de police à l’instinct exceptionnel dans les situations délicates.

—Bonsoir Paul, merci d’être venu si vite !

—Oh je n’avais rien de prévu sur mon agenda à 5h14 du matin Katia ! C’était un plaisir quand je suis sorti de l’immeuble de voir le jour se lever.

Katia tend à Paul l’enveloppe contenant le mince dossier du suspect présumé.

—Tu me donnes un peu de biscuit pour asticoter ton loustic, potentiel coupable .

─Je sens qu’il a quelque chose à se reprocher, mais je ne trouve pas le détail qui tue. Le crime a eu lieu à minuit quinze, l’équipe a fait le maximum en cinq heures pour réunir des preuves, recouper les indices mais là j’ai besoin de ton aide, d’un œil neuf.  Le pro’c nous met la pression, il a les Ministres de l’Intérieur et des Affaires Etrangères sur le dos.

─ C’est toujours le même refrain. Cela ferait désordre que la jet set dise que les nuits parisiennes sont insécures. 

─ Il nous reste quatre heures pour lui présenter un suspect. La victime est le fils d’un magnat de la Diamant club van Antwerpen. Le vol n’est pas le motif, le portefeuille de la victime contenait plusieurs billets de 100 euros et cartes de crédit françaises, belges, espagnoles. Firmin t’attend dans la UNE, avec l’individu et son avocat commis d’office. N’oublie pas quatre heures, top chrono, j’enclenche le chronomètre tu auras le retour sur l’écran digital de la salle d’interrogatoire.

Paul actionne son pass magnétique, la porte métallique s’ouvre sur un espace clos, éclairé par une lumière blanche qui lui agresse les pupilles à peine remises du réveil brutal. Une table, quatre chaises, un miroir sans teint face à la porte, derrière lequel Katia observe la scène, accompagnée des quatre membres de son équipe. Des murs calfeutrés, beiges, vides de tout affichage, de toute vie. L’avocat hoche la tête en guise de bonjour. Des marques de sommeil sur sa joue et un nœud de cravate à l’envers témoignent de son brusque branle-bas de combat alors que ses rêves imprégnaient son oreiller. Son client, la chemise dépenaillée, laisse entrevoir une épaule ensanglantée. De larges cernes soulignent son regard inquiet à la vue du nouveau policier.

Après un bref signe de tête, Paul enclenche la caméra.

—Jeudi 18 avril 1990, 5h30 du matin début de l’audition de Monsieur Joaquin CORDOBA, assisté de son avocat maître PITBULL, en présence de Paul RIKER capitaine et Firmin GOASGUEN lieutenant. Monsieur CORDOBA pourquoi vous êtes-vous enfui, lorsque la police a voulu vous interroger alors que vous vous apprêtiez à monter dans votre voiture, à deux cents mètres de la scène de crime ?

—Je ne fuyais pas, j’étais sorti prendre l’air après un dîner arrosé avec des amis pour ma promotion. J’ai eu peur de ces gars costauds qui s’approchaient. J’ai tué personne et je n’ai rien vu.

—Quelle promotion ? Interroge Paul.

—Je suis passé directeur du service design chez Montegrappa.

—Vous travaillez dans quoi exactement ? Lance Firmin.

—Je dessine des stylos plumes de luxe. Nous lançons pour la Saint-Valentin une collection spéciale, limitée en partenariat avec la grande joaillerie.

— En quoi est-elle spéciale ?

—La plume sera en or et la partie avant sera transparente et renfermera trois diamants de 1 carat chacun. Le capuchon également serti de diamants et le corps du stylo sera en platine avec des enluminures à la feuille d’or.

─ Mazette, ça va coûter un bras cette babiole ! S’exclame Firmin.

─ La police vous fait peur, pourquoi ?

─ Bon j’avoue qu’après notre repas on s’est fait une ligne. Je ne voulais pas qu’on m’arrête. J’ai une réputation à préserver.

─ Qui de votre clique a apporté la poudre ?

─ Je ne sais plus.

─ C’est pratique l’amnésie. Comment s’appelle tous vos joyeux lurons ?

Joaquin à contre cœur égraine les patronymes et les adresses de ses cinq collègues.

—Connaissez-vous Hubert GOLDMUNZT ? ─ Paul lui glisse une photo d’un corps mutilé sous le nez ─ Il se trouve que Monsieur GOLDMUNZT est le fils du directeur général de Diamant club van Antwerpen d’Anvers. Curieuse coïncidence. A minuit quinze on a retrouvé Monsieur GOLDMUNTZ avec plusieurs traumatismes à la tête, et de multiples fractures internes. Il a succombé à ses blessures dans l’ambulance. Que s’est –il passé ? Etes-vous affilié à un réseau mafieux de pierres précieuses ? 

—Je ne connais pas ce type. Vous me pensez capable d’une telle boucherie, pire un employé véreux ?

—Ce sang sur votre main et votre chemise, ça vient d’où ? interroge Firmin.

—Me suis éraflé sur les pavés quand vos gars m’ont plaqué au sol. Pouvez-vous m’expliquer ce que je fais là ?

—Monsieur GOLDMUNZT avait passé la soirée au bar « LE BIQUET ». Vous connaissez ce bar ?

—Euh non, je suis peut-être passé devant mais je n’y suis jamais allé.

—Que faisiez- vous dans la rue adjacente de ce bar alors, dans le quartier du Marais ?

—Je vous l’ai dit, j’avais trop bu, j’ai voulu prendre l’air avant de rentrer chez moi. Je m’en allai à ma voiture quand vos hommes sont arrivés.

—Ah oui, repas bien arrosé comme l’a confirmé la serveuse qui a essuyé les quolibets et les remarques grivoises de vos collègues. Je lis, « mains aux fesses, tentatives de caresses des seins », vous vous êtes lâchez dites-moi, annonce Paul. Je poursuis « On va s’les faire ces sales pédales ». De qui s’agit-il ? Fomentiez-vous d’aller casser de la pédale en guise de digestif ?

— C’était comme ça pour blaguer. On parlait de concurrents.  Ai-je la tête d’un homophobe ? Rétorque l’homme sur la sellette, indigné.

6h20 du matin, Firmin se lève et sort d’une pochette plastique, un téléphone portable. Vous reconnaissez votre smartphone je présume. Notre technicien l’a déverrouillé et nous avons eu une lecture intéressante dans le groupe Whats App que vous avez créé avec vos collègues. Je vais vous faire une petite lecture : « T’as gueule pédé, c’est ton tour de faire le débrief des avancées du projet – Stylo-plume joaillerie – » ou encore plus illustré « il lui faut une bonne bite dans le cul pour stimuler sa création ». Qu’avez-vous fait après votre repas Aux trois dragons ?

─ Je vous l’ai déjà dit. Ils ont voulu finir la soirée Au Chabada. Moi, j’ai voulu m’aérer avant de rentrer chez moi.

—Pourquoi avoir refusé la visite du médecin au début de votre garde à vue ? Vous êtes blessé, à l’épaule pourtant. Vous avez quelque chose à cacher ?

Joaquin déstabilisé, se tord les mains, et range d’un mouvement rapide, ses pieds sous son siège. Ce qui n’échappe pas aux deux fins limiers.

—Le rapport du médecin rapporte que GOLDMUNZT a eu un rapport sexuel peu de temps avant son agression. Des traces de salive ont été prélevées sur son pubis et son appareil génital.

—Alors vous me pensez homophobe, trafiquant puis comme cela ne colle pas avec mon profil maintenant je suis homosexuel ? En fait vous cherchez un suspect, et moi citoyen lambda je fais l’affaire ! Hein c’est ça ! S’énerve CORDOBA.

Paul se lève, le silence s’installe un moment, puis il décrète une pause. 7h10 suspension de l’audition.

—Nous n’avons rien, personne dans le bar ne l’a reconnu. Dit à Katia à l’équipe. Il refuse le test ADN, et en l’état, on ne peut l’y obliger. Il faut faire preuve d’audace Paul. Celui-ci scrute les photos des caméras de surveillance compilées par l’équipe de Katia. Soudain ses mâchoires se crispent. Tous attendent une révélation mais Paul repart dans l’arène sans mot dire.

7h45 reprise de l’interrogatoire du gardé à vue CORDOBA.

—Donc vous ne connaissez pas « LE BIQUET » et n’y êtes jamais allé ?

—Non, j’ai autre chose faire qu’à gesticuler sur une piste de danse avec des talons de quinze centimètres.

—Comment savez-vous qu’il y a une piste de danse, si vous n’y êtes jamais allé ? Renchérit Paul.

Sentant que l’homme pourrait se renfermer, Paul oriente la discussion sur sa famille, ses origines brésiliennes, sa passion du dessin, l’entreprise de son père et surtout la rigueur légendaire de cet homme de pouvoir.

8h45

—Pourriez-vous retirer vos chaussures et chaussettes ? Assène Paul subitement.

CORDOBA hésite, soupire, panique. Devant l’insistance de Paul, se lève et s’exécute. Tous retiennent leur souffle, derrière le miroir sans teint on s’apprête à interrompre la scène pour éviter un vice de procédure lorsque soudain à la stupéfaction de tous, on découvre les ongles des orteils de Joaquin peinturés de rouge. C’est la consternation. Cordoba, se rassoit et laisse échapper ses larmes. Ses épaules s’affaissent, il a perdu de sa superbe. Il se confesse. Oui il aime les hommes et sa femme. Il ne peut choisir. Surtout il aime s’habiller en femme. Ce soir-là, désinhibé par les excès illicites, il est bien allé au « BIQUET », où il a rencontré Hubert. Ils se sont plus. Dans la courette derrière le bar, ils ont fait plus ample connaissance. Après ce joli moment, lorsqu’ils sont revenus vers le bar, un groupe de cinq gars profondément homophobes les ont apostrophés.

— Quels gars, vous pouvez les décrire ?

 Joaquin acquiesce. C’étaient ses collègues de bureau. Poursuivis ils ont fui, mais par crainte d’être démasqué, il s’est caché. Hubert pris au piège sur le chantier d’une impasse, a été massacré par les forcenés que l’alcool et la drogue rendaient encore plus sauvages. Il a tout entendu, les insultes, les hurlements de douleur lorsque le bois trouvé sur le chantier, hérissé de clous s’abattait sur le corps de son amant d’un soir. Pétrifié il n’a rien fait. Après un long moment, il a couru vers sa voiture.

9h20 fin de l’audition du gardé à vue.

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6 Comments

  • Quel suspens ! Une audition bien menée qui m’a tenue en haleine. Tu excelles dans ce style aussi Mijo

    • Je rougis à ce commentaire élogieux. J’explore différents univers d’écriture oui 🙂

  • Cette enquête rondement menée fonctionne bien, les personnages sont bien campés, la tension durant l’interrogatoire est bien présente et la chute fort originale 🙂
    Bravo Mijo

    • Merci mon ami d’être venu me lire 🙂

  • Ce huis-clos pesant et feutré amplifie ce difficile interrogatoire mené avec brio par le capitaine de police Paul. La chute est excellente. Bravo.

    Marie Christine

    • Ce genre policier, thriller est difficile et demande beaucoup de travail pour une écriture au cordeau sans perdre le lecteur en longueur, ou le noyer dans les indices. En tout cas ne pas rester dans notre zone de confort est la clé pour maintenir notre agilité à écrire des histoires que l’on a envie de lire jusqu’à la chute 🙂

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