Le scribouilleur

Temps de lecture : 3 minutes

Histoire de maintenir la valse des mots aux bouts des doigts, j’ai tenté cet exercice extrait de l’agenda ironique de janvier CHEZ LYSSAMARA. « Il s’agissait de commencer par « tandis que les autres demeuraient silencieux, il se mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs », incorporer les mots étendre / galet / ange / sicaire / céphéide / se revancher / revif et glisser je m’attache très facilement ». Si vous voulez participer, je vous invite à tout lire du fonctionnement ici. Voici ma contribution, tout n’y est pas, mais en tout cas, je me suis bien amusée 😉 ! Bonne lecture !

Tandis que les autres demeuraient silencieux, il se mit à aller et venir, fouillant dans tous les tiroirs, je me recroquevillais sous un amas de feuilles de papier où je m’étais réfugié pour échapper à son courroux. Alors qu’il était en pleine inspiration créative, moi son fidèle stylo plume or Sergent Major, je m’étais retrouvé à sec, sans plus d’encre pour calligraphier les mots qui se bousculaient dans sa tête. Ni le parquet, ni la flamme de la bougie ni même son vieux phonographe ne bronchaient devant l’effervescence et la tension qui montaient dans le bureau, qu’il s’était aménagé au grenier de sa demeure des années 1930. Comment cela était arrivé ?

Depuis quinze jours, nous sortions enfin de son antre qui empestait le tabac froid de son cigare, pour humer l’air frais du parc Des Charmilles. Il me glissait toujours sur la poche extérieure de son veston élimé aux coudes, tel un trophée qu’il arborait comme le colt d’un sicaire. J’avais été surpris de constater qu’au lieu d’emporter son précieux carnet de notes sur lequel moi, Le Scribouilleur honorifique, j’esquissais hampes et jambages selon l’impulsion du tempo qu’il ordonnançait. A la place il avait fourré dans sa besace, son calepin de dessin et son fusain. Comment avait-il pu préférer cette vulgaire branche de saule carbonisée, à la noblesse de mon style ? Bien entendu, ce gueux frétillait de joie à l’idée de se revancher de ma place de favori. Je bouillonnais de rage.

─ Ne te réjouis pas trop vite, miséreux. Je n’ai pas écrit mon dernier mot !

─ Il est temps de mettre une limite à l’étendue de ta suprématie d’outil scripteur. Tu vas voir de quel bois je me chauffe !

Il n’en fallait pas plus pour me redonner un coup de revif. La guerre des pleins et déliés contre l’esquisse était déclarée.

C’était sans compter sur un autre ennemi, beaucoup plus pernicieux : l’amour. Les subites sorties au parc n’étaient pas animées comme à l’accoutumée, par la prise de notes, ces fragments propices à enrichir les histoires qui faisaient crisser ma plume sur le papier. Une autre motivation stimulait l’imagination de l’auteur. Pourtant les derniers mots traçaient auraient dû éveiller mes soupçons.

« Après nos folles bacchanales, toi et moi pour nos nuits hivernales, à admirer la voûte stellaire, reconnaître les céphéides, toi sans dessous, juste avec bas et aiguilles, moi audacieux à effleurer le velouté de tes lèvres. Te dessiner, fixer ta silhouette devient impérieux »

Comment ne me suis-je pas méfié ? L’adversaire redoutable était annoncé. Il allait me donner du fil à retordre cet olibrius. Ma stratégie était de faire de preuve de patience. Chaque jour j’observais avec quelle application il croquait les contours du visage de cette muse inopinée venue faire la lecture, sous la tonnelle de glycine, à une vieille qu’elle poussait dans une chaise roulante. Il mettait de l’ardeur à l’ouvrage le bougre pour dessiner, estomper les courbes de la belle. Je piaffais d’impatience pendant ces moments où l’autre bout de bois tournoyait, esquissait, effleurait, dansait et flirtait avec le grain de papier. Je n’avais pas d’autre choix que d’employer les grands moyens, pour attirer son attention. Chaque matin, alors qu’il prenait son café, mon propriétaire dressait une liste de ses achats du jour. Dès qu’il commença à inscrire le mot « librairie », je savais qu’il envisageait de faire le plein de mes cartouches d’encre bleu-roi. J’eus l’idée de me retenir de distribuer le précieux liquide malgré ma soif d’écrire. Il me secoua énergétiquement, mais je demeurais en apnée et ne laissais pas choir la moindre goutte. Il crut à un assèchement normal de la source permettant de tracer sa pensée. Je m’amusais de voir avec quelle frénésie, il ouvrait les tiroirs à la recherche de recharge. Hélas, il dû se rendre à l’évidence, plus de réservoir à encre d’avance. Je me croyais grand vainqueur. Quelle ne fut ma surprise, lorsqu’il trouva ce Bic Cristal noir. Il sautillait de joie tel un enfant découvrant la neige. Il regagna sa chaise, et poursuivit ses éloges à celle qui faisait battre son cœur. Depuis ce jour, j’ai compris que rien ne fait obstacle à la passion. Pas même la souveraineté d’une écriture à la plume or Sergent Major.

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10 Comments

  • Supplanté par un bic : quelle infâmie !
    Belle et douce journée !

  • Pour voter ce scribouilleur, c’est ici (n°13)!
    https://lyssamara.wordpress.com/2022/01/29/agenda-ironique-de-janvier-les-votes/
    🙂

    • Merci Lyssamara d’avoir accepté cette bafouille pour l’agenda de janvier. Un exercice au demeurant , très ludique et drôle 🙂

  • Eh bien, voilà ce que c’est quand l’amour s’en mêle (s’emmêle 😉 et qu’un stylo se rebelle ! Cela fait plaisir de retrouver ton humour et tes écrits sur cet agenda !!! Belle soirée à toi et au plaisir de t’y voir… chaque mois ?

    • Merci Sabrina, oui je compte bien en être pour février. C’est un stimulant revigorant et amusant 🙂

  • Avec plaisir!

  • Magnifique histoire et c’est une très belle personnification du stylo plume or ! Même supplanté par un bic, il nous fera toujours rêver avec ses pleins et déliés !
    C’est un plaisir de te lire 📖😉

    • Merci Marie-Christine d’être venue me lire. Oui quand je vois des actes de naissances d’antan écrits à la plume, avec ces pleins et déliés, je suis béate d’admiration.

  • Superbe histoire
    La victoire des modernes contre les anciens, hélas pour la beauté du résultat.Mais qu’en pense le fusain ?
    Ah! l’amour ! Quel plaisir de retrouver ta patte, ton humour dans ce beau texte.
    Nadiège

    • Merci Nadiège, tu sais que j’aime m’amuser, sortir e la zone de confort. Toutefois l’humour me guette aux coins des lignes 🙂

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