Sensuelle première fois

Temps de lecture : 4 minutes

Nous n’avions plus la force de prononcer le moindre mot, tant nos lèvres étaient sèches, notre gorge en feu. Nous économisions le peu de salive qu’il nous restait pour humidifier la pulpe de nos lèvres brûlées par le soleil. Plus nous avancions, plus les rayons du soleil se faisaient cuisants. L’air que nous inspirions était chaud, et comble de malchance à cette heure de la journée l’ombre des arbres s’étalait dans la vallée alors que nous étions sur la crête du versant que nous nous étions mis en tête d’arpenter. La canicule nous avait surpris très tôt dans le début de notre ascension. Nous n’en faisions pas cas, encore ragaillardis par cette journée d’été qui s’offrait à nous et dynamisés par ce challenge que nous avions scellé la veille au soir au bar de Domingo, après un repas à la bonne franquette chez moi. Je n’étais pas ce qu’on peut appeler un cordon bleu. En plus dans un pays étranger, fallait pas me demander de ma la jouer « top chef ». En fin de soirée, n’ayant que des « pisse-mémé » en guise de digestif, mes camarades avaient opté pour un bouillon de culture, mélange de feuilles de coca et de sirop d’aloe vera avec un alcool du cru, chez Domingo. Sans doute avions nous trop éclusé. Enfin les gars et mes deux copines, car moi j’étais restée à la tasse d’eau chaude.
Sous prétexte de prendre un raccourci pour redescendre, Jacques notre leader avait proposé de contourner le versant ouest qui longeait une steppe désertique. Nous n’étions pas emballés, et comme d’habitude, sa tchatche a su nous embobiner. Résultat cela faisait trois heures que nous tournions en rond. Nous étions perdus. L’ambiance du groupe devenait torride. Les degrés d’acrimonie augmentaient au rythme de ceux de la température extérieure et sans abri. Autant dire que Jacques avait bien compris qu’il nous courrait sur le haricot avec son raccourci. D’autant que nous n’avions pas de réseau sur nos téléphones pour joindre Google Map. C’est à ce moment que Magali avait eu l’idée de suivre un chemin plus escarpé sensé nous conduire en hauteur pour retrouver notre route. Nous étions mi-figue, mi-raisin pour encore remonter sur le versant que nous venions de descendre. Pourtant c’est ce qui nous permis de voir à quel point nous nous étions éloignés de notre point de départ. Le village était bien à cinq heures de marche, à cause de notre harassement tant par la chaleur que par la fatigue et la soif qui jouait son rôle de bourreau. Plus une goutte d’eau dans aucune de nos gourdes. La situation devenait critique. Le cours d’eau, en bas dans la vallée était asséché par des mois d’aridité.
Nous rêvions tous d’eau fraîche où nous désaltérer. Même notre peau ne suait plus. Pourtant, nous reprîmes notre déambulation en silence, nous interdisant de prononcer les mots « Soif et chaud ». Après plusieurs haltes, de beaux vols planés dans la caillasse tant nous peinions à rester stables sur nos jambes, nous sommes enfin arrivés à un panneau nous indiquant que le village était à 3,4KMS.
Comme des chevaux qui sentaient l’écurie nous avions eu un regain d’énergie. Nous avancions aussi vite que nous le permettaient nos corps maltraités par la fournaise. Jacques penaud en tête, se retournait souvent, ses regards indiquaient combien il était désolé de ce mauvais choix. La peur s’installait en lui. La seule pensée de perdre l’un de nous l’accablait encore plus que la chaleur étouffante. Christian se remémorant ses camps scouts, suggéra de sucer des pierres chaudes. Personne ne s’y hasarda. Nous avions poursuivi, nous accrochant à l’image de boissons glacées, de piscines rafraîchissantes, d’air revigorant.
Nous pouvions apercevoir malgré la brume de chaleur, le toit des premières maisons. Une pancarte retint notre attention : « El bar à 300m a la derecha». Nous étions sauvés. Les indiens de cet Altiplano nous regardèrent éberlués par notre inconscience. Pas de chapeau, des bras et jambes dénudés, rouges comme des écrevisses ébouillantées.
Lorsque nous sommes entrés dans le bar, l’ai frais des ventilateurs fut une bénédiction. Tous commandèrent un Mojito double. Je ne sais pas si ce fut à cause de la chaleur ou de la liesse d’avoir survécu à l’enfer, j’optais aussi pour cette boisson. La bande me scruta car c’était une première pour moi !
Lorsque les verres furent déposés devant nous, je regardais ce liquide tentateur, qui mettait à genoux mes camarades depuis des lustres. J’hésitais, je n’avais jamais bu une goutte d’alcool. Les feuilles de menthe dansaient langoureusement entre les tranches de citron et les glaçons qui tintèrent sur les parois du verre. Leur parfum enivrant de la menthe vint jusqu’à moi lorsque je pris ce séducteur par la taille et le porta à mes lèvres. Je voulais trinquer avec mes amis. La condensation entre l’intérieur du verre et la température ambiante, rendait la prise du verre périlleuse. J’avançais au ralenti, ma bouche sur le rebord des lèvres du tentateur. Le bouche à bouche qui s’ensuivit fut à la fois voluptueux et torride.
Le nectar acidulé de ma première gorgée, s’est glissé en moi et a pris possession de mon palais. Au contact de ce breuvage sucré ma langue a vibré, mes papilles se sont émoustillées. J’ai senti le liquide glacé descendre en moi, parcourir mes veines, épancher ma soif. J’étais sous l’emprise de cette boisson aux vertus aussi érotiques que désaltérantes. Mes yeux pétillèrent. Était-ce un sentiment de jouissance pour hydrater mon corps asséché ou les effets d’un alcool bien plus fort qu’une tisane de thym ? En reposant mon verre, je passais ma langue sur mes lèvres où perlaient quelques gouttes de son intime. Cet ensorceleur avait créé en moi une appétence. Mon corps se languissait du feu de sa volupté et réclamait d’autres gorgées.
Mes camarades sont restés comme deux ronds de flan face à ce baptême du Mojito que je leur avais offert. Ignorant leur raillerie, j’ai saisi cet amant pour une deuxième sensation, puis une troisième, une quatrième. Cerise sur le gâteau, d’autres verres ont suivi. Autant de bouche à bouche lascifs que j’exécutais avec fougue complètement désinhibée. J’alternais entre euphorie et extase.
Toufefois, au réveil le lendemain, j’ai compris ce que voulait dire « Avoir les cheveux qui poussent à l’intérieur du crâne » ! Mon corps s’était chargé de me faire passer le message : « Reste au pisse-mémé, tu n’es pas formatée biologiquement pour autre chose ! »

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9 Comments

  • Volcanique découverte ! Avec la menthe glacée pour « amant caliente », on peut dire que tu as le sens du contraste. Bien joué,MiJo.

    • Merci 🙂 oui j’ai voulu jouer sur le contraste en tout point sur ce texte 🙂

  • La chute m’a bien fait rire !
    Sinon un beau texte qui mêle habilement rire et sensualité. La dégustation de ce mojito est un acte d’amour à lui seul.
    Bravo !

    • C’est un peu ma marque de fabrique ça de mêler l’humour à d’autres ingrédients comme la tragédie, le challenge, la mort, ou le polar noir 🙂 sans oublier l’amour!

  • tu aurais encore pu rajouter à ta consigne « et que ce soit l’illustration d’un proverbe bien connu » 🙂

    • Oui Adrienne, cela m’a traversé l’esprit. Je ne voulais pas mettre trop de contraintes:)

  • Je découvre ce texte amusant et rafraîchissant à la fois.
    Et j’adore le mojito, donc tout va bien 😋.
    Bonne fin de journée.

    • Qui n’aime pas les Mojitos?

  • Il n’est jamais trop tard pour venir te lire ni pour boire un mojito ah ah ! J’ai failli à ma promesse de participer à ton Agenda ironique, mais je l’ai quand même réalisé 3 ans après la bataille ! Et j’espère bien que ce sera la dernière fois que je rate une première :). Ton texte m’a donné fort soif, les descriptions sont fort goûtues, un plaisir de revenir te lire ! Belle journée,

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