Un trichobézoard récalcitrant.

Temps de lecture : 3 minutes

atelier d’écriture mensuel,
hébergé et animé, ce mois-ci, par « la craie »
Les consignes en sont les suivantes :
Thème : la fuite du temps.
Incipit : « L’aurore sortait de l’océan sur son char de roses »
(Ausone,  « sommaire pour l’Odyssée » chapitre II  »)
Personnage imposé : Gróa, reine mythique, femme de Aurvandil, et , sorcière guérisseuse.
Mots proposés : marsouin, trichobézoard*, et « soulèvements de la terre ».
[* inflammation dûe à l’ingestion de poils compactés en boule dans l’appareil digestif]

Lorsque l’aurore sortait de l’océan sur son char de roses, mon père venait me chercher. Avec précaution, il m’enveloppait dans une petite couverture sur laquelle était brodée un marsouin bleu. C’était toujours le même rituel pour mon anniversaire. La veille au soir, en préambule il me contait les aventures de fées, de reines des neiges, de guérisseuses et magiciennes du royaume d’Asgard. Puis après avoir déposé un baiser sur mon front, il s’en allait dans son atelier où piaffaient d’impatience pinceaux et palette de couleurs.

Les yeux encore remplis de sommeil et de mes rêves, il me présentait son œuvre, s’agenouillait et me disait :

─ Allons-y !

Et nous entrions dans le tableau. Celui dont je veux vous parler, était un village enfoui sur la neige, où un attroupement de gens recouverts de peaux de bêtes entourait un gardien de la garde impériale de la reine Groa.  Hilda de Polaris avait jeté un sort à la bien aimée reine Groa. Vexée de ne pas avoir été invitée au baptême de la petite fille de la reine, Hilda avec la complicité d’une dame de compagnie de la reine, avait réussi à faire avaler à Groa, un trichobézoard fait de poils de loup. Tous les médecins et druides d’Asgard n’avaient pas réussi à grand renfort de potions et de d’onguents à la faire régurgiter cette boule de poils qui lui déclencherait une occlusion intestinale fatale. Le gardien, un puissant chevalier d’or avait fait le long voyage du Valhalla avec son fidèle loup blanc pour rencontrer la guérisseuse du village. Elle seule pouvait guérir la bien aimée reine. La mort de la reine Groa, entraînerait un soulèvement des peuples de la terre des glaciers, orchestré par les cavaliers de l’Apocalypse. Un chaos infernal s’ensuivrait entre les tribus pour conquérir la couronne de paix portée par Groa.

Le chef du village expliqua que la guérisseuse était partie depuis deux lunes, pour purifier ses cristaux de guérison à la grande source glacée. Le vent violent et les tempêtes de neige successives des trois dernières semaines ont entravé son retour. Dépité, le gardien décida d’aller à sa rencontre, chaque jour qui passait rendait la reine Groa plus faible. On remit au chevalier une pelisse de la guérisseuse. Son loup blanc la renifla longuement. Puis le gardien et le fauve se mirent en route.

Deux jours de marche plus tard, le chevalier d’or sentit avant qu’il ne le distinguât l’odeur d’un feu. Dans un petit chalet, battu par les bourrasques de pluies verglacées, il trouva la guérisseuse qui préparait un bouillon de couenne d’élan. Il lui expliqua l’urgence de la situation. Trop âgée pour un long voyage dans la neige jusqu’à Vahalla, elle donna Une pierre de labradorite, un bracelet de pietersite, un élixir d’œil de tigre et expliqua le rituel au chevalier. Celui-ci ne prit pas le temps de se reposer, il partit en implorant les grands Saints de glace pour ne pas arriver trop tard auprès de sa reine. Il était convenu qu’à la guérison de la reine, un grand brasero serait allumé pour que sa lumière se reflète dans le ciel jusqu’au village de la guérisseuse. Tous au village avait les yeux fixés sur les nues guettant la moindre trace d’une lueur flamboyante.

***

Mon père et moi attendions tout aussi inquiets du destin de la reine Groa. Je m’étais fait des copines et des copains qui m’apprenaient à pêcher dans un trou dans la glace. Nous faisions des concours d’osselets. Mon père fumait avec les hommes, ils écoutaient leurs histoires, qu’il me raconterait par la suite. C’est ainsi qu’il puisait son inspiration pour créer ses tableaux magiques dans lesquels à chacun de mes anniversaires nous entrions à la rencontre des peuples du monde.

***

Cinq jours après le départ du chevalier d’or et de son loup blanc, des cris fusèrent en pleine nuit, chacun se congratulait, on chantait autour du feu et l’on admirait cette magnifique traînée orange qui ondulait dans le ciel jusqu’au village. La reine Groa était sauvée.

Mon père me tendit la main, l’heure était venue pour nous de quitter ce tableau et de revenir dans notre quotidien de la rue Meynart, dans ce petit trois pièces où nous vivions tous les deux depuis la mort de maman.

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22 Comments

  • Eh bien ! Ton parti pris onirique me laisse rêveur. Bravo, MiJo ☆☆☆

    • C’était une porte d’entrée parmi tant d’autres, le thème était inductif à souhait pour laisser libre court à la fantaisie 🙂

  • Un bouquet d’histoires comme un feu d’artifice… Tellement proche du dévouement parenatal au coeur du mythe de Groar ( que je decouvre aussi).

    Un beau texte. Merci

    • Merci 🙂

  • Bonjour,
    je peux dire que ton trichobézoard m’en bouche un coin?
    Oups, pardon, je sors… 😉
    Bises.
    Bon après-midi,
    Mo

    • Merci de la visite Mo 🙂 j’ose espérer que tu n’es pas ennuyer dans la tuyauterie par un trichobézoard 🙂

  • Bon jour,
    Une belle histoire qui nous fait voir que l’imaginaire a une part dans notre quotidien quand on veut bien le laisser entrer pour déployer notre esprit dans un autre ailleurs 🙂
    Bonne journée
    Max-Louis

    • Tu as résumé tout ce qui nous motive dans l’écriture 🙂

  • Un superbe conte plein de fantaisie et d’imagination. C’est trop drôle de voir comment chacun peut interpreter les mots imaginaires imposés. Bon dimanche.

    • Oui c’est chaque mois un florilège de textes aussi différents les uns des autres avec pourtant la même consigne de départ.

  • Quel beau conte. Les images s’enchainent, parfois deux, trois, quatre, cinq et tellement plus, contenues dans une même phrase, « unchain » l’imagination. Moi aussi je suis allée dans le tableau. Et ce retour à la maison où mère épouse n’est plus, qui manque, mais qui promet un autre tableau et ainsi de suite entre réalité et imaginaire, tout un symbole d’amour !
    Bravo pour ce magnifique conte qui a toutes les caractéristiques d’un conte qui fait du bien.

    • Merci de ce commentaire élogieux et de votre enthousiasme 🙂

  • Un conte magnifique, onirique à souhait, j’y étais aussi dans le tableau! Bravo vraiment, j’aime beaucoup mais il me manque une petite pincée d’ironie (dans le cadre de cet exercice).

    • Oui, c’est ce dont je te remerciais pour le rappel, que nous avons tendance à oublier dans cet exercice 🙂

  • Quelle belle complicité, et la pietercite a dû t’emmener loin dans ton inspiration ! merci Mijo

    • Oui je vois que tu connais bien les propriétés des pierres 🙂

  • L’ironie du sort de cette petite fille est déjà tellement massive que nul besoin d’en rajouter. Merci pour ce conte où les pinceaux effacent le chagrin le temps d’un anniversaire. 🙂

    • Merci Lyssa d’être venue me lire 🙂

  • Chouette texte à la fois très intéressant et ironique.

    • Merci John pour ton passage 🙂

  • Original ce conte fantastique où le réel rencontre le monde onirique. Belle création. Les mots imposés me rappellent quelques souvenirs…Pas facile de placer le terme « Trichobézoard ».
    A bientôt
    Marie Christine

    • Exactement ce mot était difficile à placer 🙂

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