Chemin de capucines.

Temps de lecture : 3 minutes

Cette semaine chez Chroniques Atmosphériques, il s’agissait de faire découvrir un jardin au travers des odeurs qui nous subjuguent ou que nous fuyons.

J’ai descendu dans mon jardin pour y cueillir du romarin, gentil coquelicot messieurs, gentil coquelicot mesdames. Refrain connu et fredonné par Marion et sa grand-mère sur le chemin qui les menaient de la longère familiale au champ. Tout était prétexte à la découverte de la faune ou de la flore qui bordait le chemin. Sa mémé Toinette, lui apprenait toutes les vertus médicinales des plantes et surtout comment les reconnaître. Par exemple la mauve qui lorsqu’on froisse ses feuilles on obtient un gel gluant sans odeur, à l’inverse de l’alliaire dont les feuilles écrasées produisent une odeur d’ail, ou la feuille de lierre ronde laisse échapper une forte fragrance mentholée. Mais la petiote se désolait de voir ses capucines se flétrir au soleil au fur et à mesure de leur cheminement. L’aïeule éludait cet aspect et poursuivait en expliquant encore les bienfaits des macérations de fleurs de pâquerettes séchées dans de l’huile d’olive pour l’élasticité de la poitrine, les propriétés digestives de l’ail des ours pour désinfecter l’intestin.

Arrivées au champ, tandis que la grand-mère mère sarclait, bêchait, paillait ou éclaircissait les rangées de petits pois, de poireaux, de pommes de terre ou de courgettes, la petite s’asseyait à même le sol, (ainsi l’ancienne avait l’œil sur la progéniture). Pipelette comme pas deux, la gamine entamait la discussion avec tout ce qui vivait et passait à portée de ses yeux, de ses oreilles, ou de sa peau.

Pour permettre aux pucerons de se nourrir, des rosiers aux couleurs aussi éclatantes qu’envoûtantes et des lantanas étaient plantés au début de chaque rang de légumes, une sorte de ruse indienne avait dit la mère-grand, à court d’explications aux multiples sollicitations de Marion : « Et pourquoi-ci ? et pourquoi ça ? »

─ Ah tu connais des indiens avec des plumes sur la tête ?

─ C’est ton arrière-grand-mère qui m’a donné le secret.

─ Maintenant que tu me l’as dit ce n’est plus un secret mémé.

─ Au lieu de bavasser va donc cueillir les tomates, les rouges bien sûr, sans arracher le pédoncule comme la dernière fois avec les concombres.

─ Et après on ira au cabinet de verdure ?

Occupée à repiquer ses salades, Toinette ne répondit pas. Son cabinet de verdure comme elle le nommait, était l’endroit où reposait son défunt mari. Chaque vendredi, après la tournée dans le campement des militaires, pour approvisionner les foyers de légumes frais et sans pesticides, elle allait lui rendre visite. Marion avait questionné sa grand-mère, car nul endroit dans ce cabinet pour soulager sa vessie ou autre. Celle-ci avait répondu que dans un vieux livre de son époux, féru de littérature, elle avait appris qu’un dénommé Jean-Jacques Rousseau s’était fait un donjon vert, constitué d’une haie seringat et de chèvrefeuille au bout de sa terrasse, pour s’y recueillir, qu’il appelait aussi son cabinet de verdure. Les pages jaunies du manuscrit étaient marquées d’une croix. Elle en avait déduit que cela plairait à son homme de se reposer dans un tel écrin.

─ Bon il fait chaud rentrons pour préparer le repas. Une bonne salade de tomates cœur de bœuf avec des feuilles de brocolis sauvage. Qu’en pense-tu ? Te rappelles-tu comment on le reconnait ?

─ Oui, on écrase sous le nez la feuille et si ça sent le chou ou les fanes de radis, c’est bon, sinon c’est du pissenlit. Mais je n’aime pas cette odeur, je préfère celle des grains d’anis sauvage qu’on met dans le bocal des lombrics, pour appâter les tilapias. Ça me rappelle l’odeur de l’après-rasage de mon papa.

─ Parfait. En rentrant remplis donc les cruches d’eau pour la mangeoire des lapins.

─Elles sont fêlées tes cruches. Elles sont lourdes à porter de la rivière à la maison, en plus on perd beaucoup d’eau en cours de route.

L’ancêtre ricana, prétextant que cette perte d’eau en chemin provoquerait un miracle dès le lendemain.

Dès le lever du soleil le jour suivant, Marion en chemin, toujours sur le même refrain demanda :

─ Mais je ne vois pas ton miracle mémé Toinette.

─Vraiment ? De quel côté marchais-tu hier ?

La gamine montra du doigt la gauche du chemin. Elle n’y voyait pas de miracle. Et pourtant soudain :

─ Oh mes capucines, elles ont redressé leur tutu orange, pas celles de droite.

─ Mes cruches fêlées peuvent encore avoir une utilité Marion. La leçon est que le recyclage de tout objet cassé peut encore avoir une utilité dès lors que tu laisses ta création libre sans la contrainte de ta raison.

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14 Comments

  • Bonjour Mijo
    Jolie promenade champêtre, et bien dans l’air du temps pour la conclusion.ça me rappelle mon enfance au rythme du grand potager que cultivaient mes parents.Le cabinet de verdure m’a surprit, il abrite la tombe du mari ? Merci pour la ballade.
    Nadiège

    • Ah Nadiège, merci d’avoir relever ce manque de précision. Effectivement , je vais devoir rajouter une phrase pour expliquer que Toinette a constitué une haie de seringats et chèvrefeuille à angle droit, puisque la tombe de son époux et la dernière d’une rangée en bout de parcelle.Je pense que nous sommes nombreux à avoir eu ce genre de découvertes dans notre enfance.

  • Coucou,
    Je connais ce conte chinois du porteur d’eau dont une cruche est fêlée.Bravo, tu l’as
    bien détourné !
    Toujours aussi en forme et toujours aussi agréable à lire 😉
    Valérie

    • Merci Valérie de ton passage, oui ma grand-mère m’avait conté cette légende chinoise et le sujet se prêtait à le revisiter. Je ne parviens pas à aller sur ton blog? Est-il en maintenance?

  • Quelle jolie promenade au jardin! Et au cabinet de la verdure!
    On en apprend des choses avec nos grand-mères!

    • Merci Josée, je vais devoir rajouter une phrase car le lecteur ne comprend peut-être pas que la Toinette a fait un cabinet de verdure pour son époux autour de sa tombe.

  • Une histoire qui me ramène droit vers l’enfance. Ces souvenirs sont si précieux Mijo et le jardin un endroit sacré.
    J’ai également aimé cette introduction de sagesse à la fin.
    Merci pour ta participation et ce bon moment !

    • les souvenirs avec les Mamita et les Papili sont absolument des pierres précieuses pour nous tous.

  • Mais oui, recyclons ! Quel beau jardin et quelle belle transmission du savoir (c’est ce que je m’efforce de faire avec mes enfants, mais va savoir pourquoi, ils retiennent surtout ce qui les intéresse : personne ne débusque les fraises des bois plus vite qu’eux !). Belle et douce soirée !

    • Bravo Sandra pour leur apprendre les secrets de la terre, comme ceux des plantes 🙂

  • J’aime bien l’idée de la cruche fêlée qui arrose sur son passage.
    Merci pour cette belle promenade parfumée.

    • Merci Isabelle, d’avoir sillonné du champ au chemin de capucines 🙂

  • Quelle agréable ballade champêtre. Je m’y suis crue 🙂 On en prend plein les sens, et c’est de plus une jolie histoire de transmission. Le titre prend tout son sens à la fin.

    • Oui, tu sais que c’est un peu ma signature, soit reprendre le titre comme dernière phrase d’un texte, ou donner la clé du titre dans le dernier paragraphe.

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