Hortense et le billet doux.

Temps de lecture : 5 minutes

La consigne chez Chroniques Atmosphériques était : Votre personnage se promène, croise une boite à livres, en choisit un et en l’ouvrant lit la phrase suivante “Je n’attendais que vous, rendez-vous demain même heure, même endroit”. A vous d’imaginer la suite…

Hortense regarda à la va-vite autour d’elle, pensant repérer un sourire, un clin d’œil de l’auteur de ce message romantique à souhait. Rien. La vie s’écoulait sur la place Coudray, autour de cette boîte à livres comme à l’accoutumée. Jeannot vendait ses bourriches d’huîtres à côté de l’arrêt bus, Jacques et Gaston refaisaient le monde à coup de rouge, les oiseaux pépiaient autour de la fontaine, la mère Vidal haranguait les passants pour fourguer fruits et légumes de son exploitation, et Madame Rose, qui comme tous les jours, se rendait en sortant de l’église chez Froment, acheté son éclair au chocolat. D’autres allaient et venaient à la poste qui faisait face à la mairie. Cette dernière était fermée au public le jeudi matin. Hortense, glissa subrepticement le mot doux dans la poche de sa veste et s’enfuit sans même prendre le livre choisi. Une seule question la taraudait : « Était-elle la destinataire du billet tendre ? » Il lui fallait découvrir qui avait écrit ce message et à qui il était adressé. Elle s’improvisa détective. Voilà une mission qui apportait du sel dans la routine de ses journées. Munie de son panier d’en -cas, oui elle avait qu’être en planque dans un film demandait de la patience, et l’attente influait sur l’envie de grignotage. Pour faire son look incognito, elle se coiffa de son chapeau de paille à larges bords, enfila des lunettes de soleil oubliées par sa petite fille aux dernières vacances. Puis, l’air de rien, elle s’installa sur un banc du square qui jouxtait la place Coudray, qui permettait d’établir une surveillance de la boîte à livres et offrait un large angle de vue des environs. Enfin, pour lui donner une contenance, elle emporta dans son panier, un magazine de tricot, ses aiguilles et pelotes de laine. La première journée fut infructueuse. Personne ne s’arrêta pour déposer ou retirer quoi que ce soit de la boîte aux livres. Le lendemain, elle afficha un accoutrement d’artiste peintre (l’aquarelle était son autre passion). Elle installa son chevalet, son tabouret et se munit de sa palette, de ses gouaches, pinceaux et brosses afin de donner le change à qui s’interrogerait de sa présence. L’attente fut longue, et elle rentra bredouille pour l’heure de la soupe. Elle pensa que sa stratégie n’était pas au point. Elle décida, le lendemain de vérifier si le roman « Changer l’eau des fleurs » de Valérie Perrin, livre dans lequel elle avait trouvé la déclaration d’un inconnu, était toujours là. Puis, si oui elle déposerait dans ce même livre un message à son tour. Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle se saisit d’un joli papier fleuri et calligraphia avec son style plume, d’une écriture, fine, légèrement penchée avec respect des pleins et déliés, les mots suivants : « Varions les plaisirs, cueillons nos baisers là où Cupidon nous a réunis, à la même heure ».

Pour ce troisième jour de surveillance, dès l’aube, Hortense se rendit sur place, farfouilla à l’abri des regards indiscrets dans les livres déposés en vrac, lorsqu’elle le trouva. Il était là, sur l’étagère du dessous. Coincé entre un vieux recueil de poésie d’un certain Mallarmé (pour sûr qu’elle n’était pas armée pour cette mission) et un exemplaire de Michel Onfray. Elle glissa son mot, et repositionna le livre bien en vue, sur la première étagère. Elle rentra chez elle se préparer pour sa journée de surveillance, lorsque passant par le raccourci du square, elle aperçut, sur son banc d’observation, une enveloppe sur laquelle deux stickers en forme de strass, reflétaient les rayons du soleil levant. Intriguée, elle s’avança, regarda à droite, à gauche, fit le tour du banc, les yeux plus vifs qu’une caméra de surveillance. Personne, elle se saisit de l’enveloppe, vierge de tout indice d’un potentiel destinataire. Quelle ne pas fut sa surprise de découvrir le contenu d’une lettre, écrite à la main, de la même écriture cursive que celle du message découvert trois jours plus tôt. Et plus grande encore fut son émotion de lire : « J’aime ton pouvoir créateur, ton art du déguisement. Tu émoustilles mes journées de vieux retraité. Chaque jour tu me surprends. » Qui se gausser ainsi d’elle ? Qui savait qu’elle venait tous les jeudis matin, après avoir acheté son pain chez Froment, chiner un ouvrage à lire jusqu’à la semaine suivante ? Qui l’avait observé en catimini, dans Sa mission de surveillance à elle ? Ses mâchoires se crispèrent, témoignant de l’agitation de ses pensées. Elle rentra chez elle d’un pas décisif, prête à en découdre avec ce vieux croûton. Elle était loin de se douter de ce qui l’attendait. Alors qu’elle finissait d’étendre sa lessive, avant de partir « en planque », mais d’un autre point de vue stratégique : la poste, elle entendit la sonnette d’entrée tintinnabuler.

─ Mme Hortense de Potiron de Bois Fleury, interrogea le livreur dont le visage était presque mangé par un énorme bouquet de pivoines roses et blanches.

─ Oui.

Il lui fourra la brassée de fleurs odorantes dans les bras, et s’en alla. Hortense tout hébétée en resta coite.

Elle déposa les fleurs sur la table de cuisine, et alla chercher un vase. Elle défit l’emballage avec soin et prit son temps pour lire la carte qui accompagnait la livraison. Elle parvint à se maîtriser, le temps de l’arrangement des branches de pivoine dans le vase, avec la verdure, puis de se servir une tasse de café. Ce n’est qu’à ce moment, qu’elle décacheta la mini enveloppe et lut la carte : « Comme j’ai aimé ce jeu de chat et souris. Votre dévoué JE.dCdM »

Le mystère s’épaississait. Que voulaient dire ces initiales ? Avait-elle à faire à noble ? Elle réfléchit à qui dans ses voisins, ses camarades de la chorale ou de ses partenaires du club de bridge pouvaient bien avoir un tel nom à particule. Le carillon de la Comtoise de son hall d’entrée lui indiqua huit heures. Elle penserait plus tard à l’expéditeur de ce bouquet de pivoines, pour l’heure il lui fallait regagner son poste pour découvrir qui mordrait à l’appât déposé très tôt ce matin. Cette fois elle serait une baroudeuse avec sac à dos, chaussures de marche, chapeau de randonnée avec une bonne résistance à l’eau, de Forme elliptique, à larges bords souples et pliables avec boutons pression sur le côté et œillets d’aération. Elle s’installerait sur le comptoir de la poste donnant sur la place, et ferait mine d’écrire de nombreuses cartes postales. Elle avait décidé de souhaiter cette année une Joyeuse Pâques à tous ses amis par courrier. L’attente et ses efforts furent récompensés. Arriva sans tambour ni trompette, un vieux cacochyme, qui tenait en laisse un chien probablement aussi vieux. D’où elle était Hortense ne fut pas insensible à l’allure de l’homme qui témoignait des restes de bonnes manières. Il se baissa, attrapa la pièce à conviction, feuilleta les pages, découvrit le billet d’Hortense, et s’en saisit, avant de reposer l’ouvrage sur la dernière étagère. Il s’assit sur le banc devant la mairie, déplia la lettre et lut. Il replia soigneusement l’écrit, qu’il glissa dans la poche intérieure de son veston. Hortense ne perdait pas une miette de ce manège. Soudain, le galant traversa la chaussée et se dirigea vers la poste. Hortense fit mine de se plonger dans son courrier, lorsqu’elle entendit trois petits coups discrets sur la baie vitrée derrière le comptoir. Elle releva la tête pour découvrir Jean Eudes de Clermont de Montmorency, l’homme qui s’était installé dans la malouinière qui jouxtait son jardin pour l’été. Il se disait sur le marché que c’était un écrivain. Il fixa Hortense puis la salua de son chapeau non sans lui avoir adressé son plus beau sourire et tourna les talons.

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4 Comments

  • Bonjour Mijo
    Quels farceurs ces écrivains! De fins observateurs en fait. Jean Eudes a du beaucoup s’amuser à repérer sa voisine qui ne manque pas d’imagination non plus. Ni l’auteur de cette nouvelle, un petit bijou !
    A très vite
    Nadiège

    • Oui Nadiège, Je m’essaie actuellement à caractériser des personnes du troisième âge. Je ne sais pourquoi dès que je prends la plume, ils viennent me suggérer des péripéties, des intrigues. J’ai un autre texte en compétition avec une Toinette au jardin qui récolte de drôles d’aumône le dimanche lorsqu’elle passe son panier dans les allées de l’église.
      A bientôt.

  • Très sympathique ce texte Mijo avec une ambiance créée dès les premières lignes! On savoure le périple d’Hortense et ses essais pour percer le mystère.
    Merci !

    • Merci Marie à toi de proposer de chouettes accroches pour laisser notre inspiration et notre imagination courir sur la feuille ou nos doigts courir sur le clavier 🙂

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