La leçon de théâtre.

Temps de lecture : 4 minutes

C’est enfin la récompense de cette longue attente dans ce parc, où les parfums floraux enivrent et tournent la tête de ce jeune homme. C’est ce qu’on croit en apparence.

— Attention ! Peinture fraîche ! Le carton vient de s’envoler. Prenez place ! Ce serait un plaisir que de partager un morceau de banc avec vous.
— Je vous remercie.
— Quel endroit merveilleux ! N’est ce pas ! J’aime le calme de ce parc, et vous ?
— Oui c’est d’ailleurs pour son calme que je viens ici.
— Vraiment ? Moi aussi, j’aime m’assoir et observer les gens qui passent, qui s’assoient. Et surtout les écouter. Et vous que faites vous dès lors que vous êtes assise ?
— Je profite du calme. J’aime me laisser porter par le bruissement des feuilles des arbres, lorsque le vent agite les branches. Humer ces essences d’arbres est divin dans un SI-LEN-CE qui me ressource.
— Vous avez une vie stressante, au point d’avoir besoin de votre bouffée d’oxygène parfum chlorophylle ?
— Qui vous dit que je suis stressée ?
—Vous-même ! Vous avez besoin de vous ressourcer. Pourtant vous me paraissez si fraîche, si solaire, et toujours avec des tenues qui déclinent toute la palette des bleus, ce qui rehaussent votre teint ambré.
— Suis-je une de vos cibles d’observation quotidienne ?
— Comment vous dire ? Je…eh..J’avoue m’être laissé aller au jeu des devinettes, vous concernant.
— Que pensez-vous avoir deviné ?
— Je crois que vous travaillez dans un salon d’esthétique, car vous sentez bon les huiles essentielles, vous avez les ongles courts, parfaitement arrondis, non manucurés. Vous portez des ballerines. Vos cheveux sont toujours noués sur votre nuque, ou délicieusement remontés en un chignon, à la manière des hôtesses de l’air. Vous vous massez souvent les jambes, que vous étendez parfois sur le banc. Il y a deux jours, vous marchiez légèrement voûtée, vous frictionnant les épaules et la nuque. J’en ai déduis que vous deviez masser des personnes. Cela m’a été confirmé par l’attèle à votre poignet aujourd’hui, signe de gestes répétitifs, puisque vous venez de l’enlever pour vous masser le poignet avec de l’huile essentielle de gaulthérie.
— Qui êtes vous ? Vous me suivez ? Vous êtes un de ces détectives privés, fouineur de la vie des autres ?
— Ah aha ! Grand dieu non ! Comme vous y allez. Je vous l’ai dit j’observe mes contemporains. Je suis écrivain. Être ici chaque jour est une façon de nourrir mon imagination.
—Vous êtes écrivain ? Dans quel genre évoluez-vous ?
— Dans le théâtre. Je dois écrire une scène où le monsieur doit déclarer à une jeune femme l’attrait qu’il a pour elle.
— Dites donc, ne seriez vous pas en train de me draguer ?
— Pensez donc ! Cependant maintenant que vous le suggérez, m’aideriez vous à jouer une telle scène, en me donnant la réplique sur ce thème ?
— Vous me proposez un rôle ?
– Et pourquoi pas ? Ne jouons nous pas chaque jour un rôle sur la scène de notre vie ?
— Vous êtes sérieux, ma parole. Vous insinuez que je pourrais être votre muse ?
— Et plus encore, euh je voulais dire que oui vous pourriez pourquoi pas jouer ce rôle dans ma pièce. Aimez-vous le théâtre ?
— Je suis plutôt cinéma ! Cependant votre proposition est séduisante. Comment procèderions- nous ?
— Donnons rendez-vous ici tous les jours à la même heure, et laissons la magie de la spontanéité opérer. Il vous suffira de répondre à mes répliques comme si nous étions amants ou sur le point de le devenir. Vous ne risquez rien, nous sommes au parc de la Briantais, où tous les malouins des environs viennent courir, prendre une pause à l’heure du déjeuner.
— C’est une tentation complètement folle. Et pourtant la folie serait de ne pas y céder. A demain donc.


Attendre le lendemain, pour que refleurissent les mots dans la bouche de la belle est un calvaire pour le dramaturge, au point de lui faire pousser des ailes florales. Il décide d’arriver plus tôt, ses dialogues sous le bras. Les jardiniers taillent la glycine. Ramassant les grappes pervenches au sol, il en tricote une couronne. Celle-ci, rappellera la couleur vestimentaire de celle qu’il espère. Le temps s’étire, le soleil est au zénith, certains habitués repartent de leur pause déjeuner. Son propre estomac se manifeste à grands coups de borborygmes. Il guette l’entrée du parc et tressaille à chaque crissement de pas sur les graviers des allées.
—Se pourrait-il qu’elle ne vienne pas ? L’aurais-je effarouchée ?
Quelques gouttes de sueur froides perlent sur son front au moment où une brise légère, lui apporte les effluves ô combien reconnaissables d’essences de plantes qui viennent effleurer ses narines. Ainsi mené par le bout du nez, il tourne la tête dans la direction du vent. Elle arrive, resplendissante dans une robe bleue cobalt dont le décolleté est dessiné par un ruban de satin fushia. Une ceinture du même ton rehausse son buste généreux. De jolies sandales bleues soulignent le galbe de ses longues jambes et ses fines chevilles. Sa démarche élégante attire le regard des jardiniers. Il savoure cet instant, lorsqu’elle s’avance vers lui, telle une apparition parmi la haie des hortensias qui s’inclinent à son passage.
—Désolée du retard. J’ai eu une cliente récalcitrante qui m’a demandé un massage de réflexologie plantaire en plus de son soin du dos aux pierres chaudes. J’ai hâte de commencer. Dites-moi tout.
—Vous êtes venue à moi, au tendre rendez-vous
De nos secrets émois. J’en deviens presque fou.
—Pardon ?
—Euh.. Veuillez me pardonner, j’étais déjà dans le rôle. Voici les répliques que je vous propose. Puis…je vous ai fait cet accessoire, tenez prenez cette couronne de glycine.

Il est en apnée, guettant sa réaction. Sans tambour ni trompette, elle entame les premiers vers, couronnée de glycine.

— Dans ce parc fleuri d’où jaillissent les cris
D’enfants, je vous trouble de mes retards.
Désarmant votre courroux d’un regard,
Nous batifolons toutes les après-midis.

— Vous tournoyez sur vos talons perchés
Faisant virevolter votre jupe sur vos jambes légères
Narguant les indécences dans mes yeux allumés.
Me rendant impatient de voir le velouté de votre chair.

— Éperdu, vous succombez avec ardeur à ma bouche
Relevant mon tricot qui cache mes lourds seins.
Vos lèvres folles œuvrent en escarmouche,
Vous devenez mon bourreau, ourdissant à dessein,
Lorsque votre main glisse sous la césure douce.

— J’aime la soie fine et mutine de votre dentelle,
Lorsque votre corps s’offre à mes appels sensuels.
Je m’enivre de votre parfum capiteux sucrant l’air,
De cet instant. Mon désir est en suspend, je suis aux abois,
Captif de vos rondeurs. J’en perds mes repères.

— Venez cueillir sur mes lèvres les fruits de la volupté,
Qui mèneront à l’extrême nos corps emmêlés et exaltés.
Sans un mot, vous vous prêtez aux ébats,
M’amenant à céder à vos appâts.

— Au jeu des abandons, puzzles de nos corps,
Nos ventres faibliront, en demande d’encore,
Alors nous serons ivres, objets de nos avances,
Friandises promises de nos bouches en errance.

— Pensez-vous que je saurai tenir ce rôle ?

— J’en suis certain. On peut dire que c’est un début d’abus non ?

—Comment ?

— N’aimez-vous pas nos rendez-vous, les rôles que nous jouons ?

— Si bien sûr, mais ce n’est qu’un rôle ?

— En êtes-vous certaine ?

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4 Comments

  • Coucou Mijo !

    Comment se fait-ce donc que je connoissais ce texte-ci ? C’est celui de Short-Edition ? J’avoue ne pas aller souvent sur la plateforme car mon compte a été victime du bug collectif et depuis, j’ai perdu tous les auteurs que je suivais… Et je n’ai pas assez de temps pour tout reprendre à zéro. M’enfin, tout de même, je renouvelle les compliments pour ce texte, très original dans sa forme et tendre dans le fond 🙂 ! Belle soirée à toi, Sabrina.

    • Hello Sabrina,
      Mea culpa, je vais entrer ton adresse dans le mailing de SENDINBLUE lorsque j’envoie une nouvelle campagne. Oui c’est le texte de Short, je n’ai pas le même lectorat sur les deux supports. Tu as raison, c’est un travail de titan de reprendre à zéro sur Short.Je n’ai pas encore osé créer la page FBK « Funambule sur le fil de l’écriture ». Bon ma pièce de théâtre « Coach en sinistrose » ira sur le bureau de 3 éditeurs au 1er février 2022. Je croise les doigts.
      A bientôt de te lire, amie de plume.

  • Bonjour Marie-Josée,
    Je suis admirative ! C’est vraiment très bien tourné. On a l’impression de sentir tous les parfums que tu distilles dans cette nouvelle. Très agréable.
    A bientôt !

    • Merci Nadine de ta lecture. J’ai aimé mêler la poésie au narratif, en usant des ressentis sensoriels, un peu comme la consigne des fragments.

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